Isabelle Quentin est professeure agrégée en économie gestion et bricoleuse pédagogique. Intriguée depuis plusieurs années par les usages des technologies du Web participatif, elle a créé plusieurs communautés en ligne pour ses élèves et pour ses collègues. Après un master recherche, elle est désormais engagée dans un doctorat afin de poursuivre sa réflexion autour du fonctionnement des communautés en ligne en contexte éducatif. Elle propose pour Actualitice une contribution autour de deux modèles de structuration des communautés enseignantes, qui ont été théorisées grâce à un travail de terrain. L’introduction à sa contribution permet de prendre conscience du poids et de la nature des communautés d’enseignants en France.
De nombreux articles sont consacrés aux effets des technologies du Web 2.0 sur les comportements des élèves issus de la génération Y. Il est ainsi courant dans la littérature d’expliciter pourquoi et comment les enseignants d’aujourd’hui doivent adapter leurs pratiques professionnelles aux nouvelles façons d’apprendre et de sociabiliser des élèves. Or, les enseignants se servent eux-mêmes des technologies Web 2.0 dans un contexte professionnel. Cette utilisation peut-être individuelle : recherche et / conception de ressources à caractère pédagogique, mais aussi collective. En France, on ne dénombre pas moins de 80 communautés d’enseignants créées afin de s’organiser en ligne. Nous pensons que l’utilisation, notamment collective, des technologies du Web 2.0 par les enseignants affecte leur métier et les manières de le pratiquer. C’est ce point de vue, que nous allons tenter de présenter dans ce court article.
Les communautés d’enseignants sont des structures complexes. Chaque collectif est différent avec des modes d’organisation qui évoluent constamment au fur et à fur mesure du cycle de vie. Aussi, afin d’illustrer nos propos avec le plus de clarté possible, nous avons choisi de présenter deux modalités d’organisation situées aux deux extrémités d’un continuum. La première modalité d’organisation est présentée par le biais d’une analogie avec le bac à sable, la seconde modalité est rapprochée des méthodes de gestion de projets. Nous mettrons en évidence que chacune de ces modalités d’organisation aboutie à des types différents de production et soulèvent des questions spécifiques quand à l’exercice de la profession d’enseignant.
Les enseignants se retrouvent dans un bac à sable
Le bac à sable désigne ici un environnement meuble dédié aux apprentissages et à l’innovation. A l’intérieur du bac à sable, les règles de fonctionnement sont lâches. Ce qui prédomine c’est le principe de la liberté. Tous les sujets peuvent être abordés et discutés. Les internautes intéressés peuvent facilement participer, souvent une simple inscription suffit.
Les types de production qui émergent de ce type d’organisation sont les échanges sur des questions professionnelles et l’explicitation de pratiques pédagogiques (souvent innovantes). Nos recherches ont par ailleurs montré que les communautés de type bac à sable ne favorisent pas l’émergence de nouvelles connaissances construites collectivement. Le bac à sable permet davantage à ses utilisateurs de mutualiser en les juxtaposant des connaissances variées qui existent déjà.
Dans ce type d’organisation, les enseignants experts donnent à voir leurs pratiques professionnelles et s’engagent dans un processus de reconnaissance de soi. Ils sont souvent à l’origine de la construction de l’identité collective du groupe dans lequel ils sont investis. En effet, ce qu’ils disent et la manière dont ils le disent est rarement remis en question. Le bac à sable fait donc émerger différents statuts parmi les acteurs bien que cela soit totalement implicite. Les enseignants qui débutent leur carrière trouvent, eux dans ce type de communauté, des exemples de pratiques qu’ils peuvent imiter et mettre en œuvre dans leur classe ainsi que des réponses à certaines questions pratiques sur leur métier et la façon de l’exercer.
Les enseignants s’organisent autour d’un projet
Ici, la production est collective et organisée autour d’un objectif clairement défini. Dans les exemples les plus aboutis, les enseignants impliqués parviennent à créer et à diffuser des manuels scolaires. Les règles de fonctionnement sont explicitées et chaque acteur se voit attribuer une ou plusieurs tâches précises. Pour les acteurs impliqués, ce type d’organisation nécessite de s’effacer en tant qu’individu. La gestion de projet impose aux groupe de faire des choix afin de parvenir à un consensus et de ce fait, favorise la création collective de nouvelles connaissances professionnelles (en pédagogie et en didactique) et extra-professionnelles (dans le domaine de la gestion de projet, par exemple).
Un autre point mérite d’être souligné, les communautés d’enseignants qui appartiennent à ce type d’organisation parviennent à créer et à diffuser sur une large échelle des ressources qui entrent en concurrence directe avec le secteur privé. Ainsi les manuels diffusés par Sésamath ont capté en quelques années près de 15 % du marché de l’édition de manuels pour l’enseignement des mathématiques dans le secondaire. Les enseignants ainsi organisés montrent qu’ils ne sont pas seulement des utilisateurs de ressources conçues par et pour d’autres (éditeurs de manuels, producteurs de logiciels tels que les ENT ou les TBI ou matérielles telles que les tablettes numériques) mais qu’ils ont la capacité de concevoir et de diffuser par eux-mêmes les ressources dont ils ont besoin dans leur classe à un niveau professionnel.