Le learning center doit-il remplacer la bibliothèque ou le CDI ?

Éducation

Du 23 au 25 mars 2011, l’Ecole supérieure de l’Education nationale a programmé un séminaire intitulé « du CDI au learning center ». L’hypothèse d’une transition d’un modèle ancien, le CDI, vers un modèle neuf, le « learning center », était donc au cœur des problématiques débattues : le présupposé était que le « learning center » pouvait être posé en tant qu’évolution du CDI. Reste à démontrer que ces deux notions recouvrent la même réalité. En effet, il est possible que le « learning center », notion qui n’est pas encore clairement définie, n’ait pas vocation à se substituer au CDI mais plutôt à le compléter.

La notion de « learning center » est encore floue pour la plupart des acteurs de l’éducation en France. Comme son nom l’indique c’est un concept qui nous vient du monde anglo-saxon. Très populaire dans le supérieur, il y est associé à un faisceau de principes plus ou moins établis : il s’agit de faciliter l’apprentissage en autonomie de l’étudiant en mettant à sa disposition des collections cohérentes de ressources pouvant satisfaire ses besoins ; ces ressources sont pour la plupart dématérialisées et de ce fait ubiquitaires ; l’étudiant dispose d’un self-service documentaire auquel il peut accéder dans un espace dédié au sein d’un établissement d’enseignement mais également à son domicile.

Les économies d’échelle sont importantes pour une université. Que ce soit en termes d’acquisition et de remplacement des collections de documents, de stockage ou de personnels, la dématérialisation en partie induite par les « learning centers » a permis de réduire considérablement un bon nombre de lignes budgétaires attachées aux bibliothèques universitaires. Lorsque les moyens sont redéployés, ce sont les étudiants qui en bénéficient car ils disposent de personnels plus nombreux pour les assister dans leurs recherches ou bien de collections plus riches. Certains personnels, soulagés des tâches liées à la manipulation des ouvrages papier, peuvent se consacrer à des travaux de veille et de curation en délivrant les informations les plus utiles aux étudiants qui en ont besoin.

Une importation problématique du « learning center » dans le second degré

Lorsqu’on tente de faire descendre cette notion dans l’enseignement secondaire, une série de questions cruciales apparaissent et doivent être résolues avant de pouvoir affirmer que le « learning center » est l’avenir du CDI. La première question est celle de l’autonomie des élèves. Pour les universités et les établissements d’enseignement supérieur, cette autonomie acquise par l’étudiant leur permet de faire le pari du « learning center » sans trop de risques. Cependant les élèves de collège et de lycée ne disposent pas d’une autonomie dans le domaine de la documentation comparable à celle d’un étudiant. Au contraire, le CDI doit leur permettre de l’acquérir : ils doivent être formés à la recherche de documents et d’informations et le CDI représente pour cela un bac-à-sable idéal.

La principale difficulté pour l’élève du second degré est de hiérarchiser l’information une fois qu’elle a été trouvée. Cela suppose qu’il ait réussi au préalable à transformer un problème en questionnement et ce questionnement en requête, puis qu’il ait su adresser cette requête au bon moteur de recherche ou au bon index… Ces tâches fondamentales sont souvent conduites grâce à l’aide du professeur documentaliste et dans le cadre de collections documentaires cohérentes mais réduites. Laisser les élèves du second degré arpenter seuls les rayons infinis des collections de documents numériques disponibles sur internet, les laisser seul accéder à toute l’information disponible sur la toile, revient à les mettre en situation d’échec. Le havre que représente le CDI, dirigé par le professeur documentaliste, est donc nécessaire à l’élève. De plus les collections de documents papier permettent d’accompagner l’effort d’abstraction nécessaire pour trouver son chemin dans des collections dématérialisées en se familiarisant par exemple avec les méthodes de classification.

Comme le principe d’autonomie, celui d’ouverture, au cœur de la définition du « learning center » dans le supérieur, se trouve donc remis en cause lorsqu’une comparaison est faite avec le CDI de l’établissement du second degré. Ce dernier se définit justement comme un espace de documentation dont l’ouverture sur le monde extérieur est relative. L’accès à internet y est modéré soit par le biais de filtres logiciels soit par le biais de consignes fournies par le professeur documentaliste. Les filtres sont ajustés par le professeur selon les compétences des élèves ou selon des objectifs d’acquisition de compétences. Le CDI est donc focalisé sur le développement personnel de l’apprenant mais c’est aussi un outil qui est conçu pour faciliter le travail du professeur documentaliste qui a prise sur cet espace. Le « learning center » ne bénéficie pas de cette double focalisation équilibrée répondant aux besoins de l’apprenant et de l’enseignant : il est focalisé sur les besoins de l’étudiant autonome assisté ponctuellement par un référent.

Avantage et inconvénient de l’usage du terme « learning center »

Vouloir rebaptiser le CDI en « learning center » parce qu’il est confronté à de nouveaux usagers empreints de « culture numérique » ou bien parce qu’il est désormais ouvert sur le monde grâce à internet, risque de brouiller les pistes : le flou sémantique attaché à la notion de « learning center » risque de contaminer celle de CDI sans pour autant répondre à la question cruciale de l’acquisition de l’autonomie par l’élève ni à celle de sa confrontation avec le « Wild Wild Web ».

Le paradoxe est donc le suivant : les acteurs de l’éducation en France reprochent au CDI de ne pas être assez ouvert ou favorable au développement de l’autonomie chez ses usagers et les acteurs de l’éducation dans le monde anglo-saxon reprochent au « learning center » de ne pas permettre l’acquisition de compétences en recherche documentaire chez ses usagers à cause de son manque d’ambitions pédagogiques. Une troisième voie reste donc à trouver entre le self-service et la pension familiale.

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